« J'ai pris davantage de photos satisfaisantes pour moi à l'île de Sein en quinze jours qu'en Chine populaire en sept semaines », a écrit Jean-Philippe Charbonnier.
La rencontre de ce globe-trotter avec les îliens sur leurs bouts de rochers battus par les tempêtes au large de la pointe du Raz a donné lieu à un reportage saisissant. En cette année 1956, la prestigieuse revue mensuelle Réalités -où le photographe côtoie un autre reporter hors norme, Edouard Boubat - l'a envoyé témoigner des très rudes heures des Sénans. Le sujet sera publié sur 8 pages dans le numéro 134, en 1957. Au départ, pourtant, rien n'était acquis. Les habitants ne montrent guère de goût pour les « touristes ».
En 1940, cachés dans leurs bateaux de pêche, tous les hommes valides de l'île ont gagné l'Angleterre pour répondre à l'appel du 18 juin. Ils étaient 124. A Londres, le général de Gaulle a pu constater, passant en revue les quelque 400 premiers volontaires : « L'île de Sein, c'est donc le quart de la France !». En 1946, il lui attribuera la Croix de la Libération. Ainsi sont les Sénans, courageux et tenaces, formés par les épreuves du quotidien, peu enclins à se montrer. Jean-Philippe Charbonnier, à sa manière, tout en douceur, a su s'intégrer, aidé par le recteur Ramonet qui, en chaire, s'est porté garant de ses intentions. « Et les Sénans, raconte-t-il*, ont commencé à venir me renifler ». Peu à peu, ils lui ont accordé leur confiance, en donnant d'abord pour preuve les efforts qu'ils faisaient pour ne pas parler breton devant lui. « Je me suis bientôt, a souligné le photographe, senti chez moi, un chez moi auquel je ne m'attendais pas, que je n'imaginais pas. Heureux, tranquille. J'étais protégé par ces gens farouches, entiers, excessifs, et qui regardent en face. » Comme l'a relevé Michel Tournier, il y a une approche « charbonnière » des sujets. Une façon de faire voir des scènes de vie saisies sur le vif en toute franchise, sans détour, en accord avec la personnalité des pêcheurs et de leurs familles. Un proverbe breton consacré aux plus sauvages des îles d'Armorique affirme « Qui voit Sein voit sa fin ». Bien au contraire, Jean-Philippe Charbonnier, témoin d'une vie en noir et en blanc, en mal et en bien, entre pierre et mer, gardera de ce séjour un grand souvenir. Il écrit encore * : « La douce nuit d'hiver, quand le phare (...) enveloppe de son aile lumineuse les maisons et les flots incertains, on dort en paix, protégé de la terre par l'eau, de l'amertume par l'amitié. »
Joëlle Ody
Exposition présentée au Festival Photo de Mer de Vannes en 2010
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